Aujourd'hui, l'interprétation radicale de l'islam et ses croyants appliquent ces concepts anachroniques et utilisent cette terminologie pour justifier ou fonder «théologiquement» leurs actions extrémistes, comme l'assassinat de personnes innocentes.
C'est pour cela qu'il est nécessaire et urgent de clarifier les racines de ces termes et le contexte dans lequel ils étaient considérés comme «acceptables» ou «applicables».
Nous sommes aujourd'hui en présence d'un «nouveau» monde dont la réalité ne repose pas uniquement sur l'aspect financier mais également sur une mondialisation culturelle et ethnique.
La nature même de cette mondialisation requiert une réinterprétation des concepts «religieux» existants, qui ont été créés pour servir les intérêts géopolitiques des détenteurs du pouvoir à l'époque et qui servent aujourd'hui les intérêts des seigneurs de la guerre.
Quels sont les intérêts des musulmans dans un monde globalisé ?
Il n'est pas aisé de définir les intérêts d'un groupe pas totalement soudé tels les groupes religieux, vu les multiples façons de comprendre les principes et la pratique de leur foi. Mais pour faire simple, ce dont ont besoin les musulmans et les autres croyants, c'est un monde où ils peuvent pratiquer leur foi en paix.
Cela dit, l'image que les agissements de radicaux donnent des musulmans et la façon dont certains médias présentent ces actions a entraîné l'apparition de l'islamophobie et la perception des musulmans en tant que menace.
L'islam en tant qu'«idéologie» et les musulmans «en tant que pratiquants» sont perçus comme «ceux qui veulent porter atteinte aux fondements/valeurs des sociétés occidentales».
Par exemple, à cause de l'ampleur de la tragédie et de la manière dont certains médias irresponsables ont rapporté l'information, beaucoup ont commencé à soupçonner leurs amis et voisins musulmans au lendemain des attentats du 11-Septembre et du 7 juillet à Londres.
Ainsi, la représentation médiatique de tels événements a fait l'objet d'études approfondies. Mais l'auto-critique des musulmans et des intellectuels musulmans n'a dépassé la condamnation de ces actes.
De nouvelles mesures fondamentales doivent rapidement être entreprises pour lutter contre le radicalisme sur le long terme, et ce par le biais d'une remise en question de l'utilisation par les extrémistes de concepts qui justifient leurs actions terroristes.
Revoir le contexte des termes utilisés par les extrémistes
Nous avions identifié un certain nombre de concepts qui ont été utilisés par des extrémistes pour fonder et motiver leurs actions radicales. Deux de ces termes sont «dar al-Harb» et «djihad».
Nous allons évoquer la pertinence du terme «dar al-hizmet» au sein de notre monde globalisé et débattrons du concept de djihad, souvent mal interprété.
«Dar al-hizmet» est un terme relativement nouveau qui décrit une nouvelle vision du monde islamique qui ne se divise pas entre la sphère islamique et la sphère non-islamique mais qui voit le monde comme un lieu où on sert l'humanité dans son ensemble et où on atteint, par cet intermédiaire, le plaisir de Dieu.
Ainsi, «Dar al-hizmet» en tant que terme islamique ne trouve pas sa base dans des calculs et des considérations géopolitiques (comme c'était le cas avec les termes à connotation politique «dar al-Harb» et «dar al-Suhl») mais dans les concepts sociaux et spirituels d'ihsan, de diğergamlık (altruisme) et enfin, de hizmet (service).
Résultat, «dar al-hizmet» a le pouvoir de mobiliser les musulmans afin qu'ils deviennent plus responsables socialement au sein de leur communauté et de leur pays d'accueil, peu importent la religion ou l'idéologie dominante et la forme de gouvernance du pays dans lequel ils vivent.
Il faut également souligner que le terme «dar al-Harb» n'a pas sa place dans le Coran ni dans la sunna, les deux principales sources de l'islam. Par conséquent, les intellectuels musulmans défendent l'utilisation d'autres termes comme «dar al-Ahd» (domaine de la trêve) et «dar al-da'wah» (domaine de l'invitation), pas vraiment connus en Occident.
Ces termes, comme celui de «dar al-hizmet» pourraient être la solution au problème des groupes qui se radicalisent et qui citent (et interprètent souvent mal) certaines fatwas se rapportant à l'intellectuel musulman médiéval, Ibn Taymiyya.
Comme il le souligne dans son ouvrage sur la position d'Ibn Taymiyya vis-à-vis de la lutte contre le régime tyrannique ou oppressif, l'universitaire Yahya Michot indique que Taymiyya est souvent mal interprété dans le but d'inciter à la violence contre les régimes non-musulmans, alors qu'il suggère patience et endurance, plus que le combat («qital»).
Promouvoir l'utilisation d'autres termes dans le monde musulman
Si des groupes extrémistes basent leurs agissements sur certaines de ses fatwas, ces débats intellectuels qui plongent au cœur de la complexité de ses arguments religieux et les place dans leurs contextes historique, géopolitique et social sont remarquables.
Ces arguments et termes alternatifs en lieu et place de «dar al-harb» doivent faire l'objet de discussions par les intellectuels musulmans lors de conférences et de symposiums et être présentés au large public afin d'empêcher la radicalisation de la jeunesse musulmane par l'intermédiaire de groupes extrémistes.
De plus, un terme comme «müspet hareket», proposé par l'érudit musulman Fethullah Gülen peut également servir en ce qu'il donne à la jeunesse musulmane un rôle constructif dans sa contribution à la société au sens large dans son pays d'accueil.
«Müspet hareket» (l'action positive) dans ce sens, encourage la pro-activité en société et les citoyens à se montrer respectueux envers la loi.
D'un autre côté, on a un terme mal interprété, celui de «djihad», à la fois déformé par les médias et les groupes extrémistes pour véhiculer le sens de violence et d'agression. Comme pour «dar al-harb» par exemple, «djihad» est communément utilisé par les médias pour parler de l'«extrémisme islamique».
D'un autre côté, les groupes extrémistes abusent du concept de «djihad» et l'utilisent pour légitimer leurs actes terroristes. Alors que «djihad» ne transmet pas du tout le sens de «guerre sainte» en islam, il est souvent utilisé à la place de ce terme à très forte connotation.
En réalité, le terme de «guerre sainte» ne se rapporte pas à la terminologie islamique, la paix («Suhl») étant considérée comme une partie intégrante du «djihad». Le concept de «djihad» doit donc être replacé dans son contexte par les intellectuels et universitaires musulmans.
La corrélation entre les termes «ijtihad» et «djihad» ne devrait pas être négligée, étant donné qu'ils ont la même racine. Tandis que «ijtihad» appartient au domaine du fiqh, c'est-à-dire l'effort déployé pour comprendre et réfléchir sur le Coran et la sunna, «djihad» possède une signification plus variée, à savoir le fait de «s'efforcer» d'apprivoiser son âme charnelle afin de représenter les valeurs et le vrai caractère de sa foi dans tout ce qu'on fait durant sa vie.
«Djihad» dans ce contexte est une force déployée pour le bien et un effort vers l'amélioration constante de son comportement social et de son caractère avec sa famille, ses collègues, la communauté et la société au sens large.
Cependant, «djihad» est un mot qui a déjà été galvaudé (construit comme une menace existentielle à certaines valeurs précieuses) et les significations qu'on lui attribue ne rendent pas l'idée de paix. Ainsi, remettre en question les significations négatives qui existent et qui sont profondément ancrées est peut-être uniquement possible si on relève l'importance d'alternatives et d'une terminologie qui est en train d'émerger comme «hizmet» (service).
Promouvoir ces notions pour remettre en question des concepts destructeurs dans le contexte actuel d'un monde globalisé est uniquement possible via des plate-formes qui puissent fournir de telles interprétations, en montrant la valeur du service à l'humanité et en défiant des images déjà toutes faites.
Mustafa Demir est doctorant en politique et relations internationales à l'institut international des études sociales de l'université de Keele, en Grande-Bretagne.
Ömer Sener est chercheur et écrivain, docteur en études culturelles et critique littéraire à la Queen Mary University de Londres.